Interview du 6 mai 2019 par Natacha Kadur.
Souffrance au travail : Comment gérer l’après pour les entreprises ?
Alors que le procès du « harcèlement moral » à France Telecom s’ouvre aujourd’hui , la société, rebaptisée Orange depuis , a parcouru du chemin pour tourner le dos à ses années noires. Comment rétablir la confiance dans des conditions aussi difficiles pour avancer vers « l’après »? Florie Gaestel est spécialisée dans la prévention et la gestion des risques psychosociaux en entreprise et elle a répondu à nos questions.
Florie Gaestel exerce comme psychologue du travail et des organisations dans les Hauts-de-France.
Depuis quand parle-t-on de risques psychosociaux ?De quoi s’agit-il ?
Les risques psychosociaux sont ceux qui menacent la santé physique et mentale des salariés, en dehors des stricts risques d’accidents industriels par exemple. Il peut s’agir de problèmes de stress, d’épuisement professionnel ou de violences par exemple. Il est certain que la médiatisation de certains cas a favorisé la prise de conscience et donc la vigilance sur ces questions.
Comment gérer la crise dans une entreprise ayant été confrontée à ce type de situations ?
Les professionnels de la santé et de la sécurité au travail pourront dans un premier temps accompagner l’entreprise pour “réagir”, en organisant des cellules d’écoute par exemple. Les dirigeants doivent bien entendu être associés à cette démarche. Sans cela, rien n’est possible. Ensuite, Il faut un engagement de leur part à promouvoir une politique de bien être au travail, afin d’éviter que ces situations ne se reproduisent.
Comment s’y prendre ?
Il faut mettre les choses à plat de manière participative pour faire un diagnostic. Les manifestations de souffrance au travail peuvent être induites par des dysfonctionnements organisationnels ou de communication. La présence d’un intervenant extérieur facilite la libération de la parole. Souvent, la confiance a été rompue et les collaborateurs se confient plus facilement à quelqu’un d’extérieur qu’à leur propre hiérarchie. Il faut identifier ce qui pose problème et les leviers pour agir.
“Souvent, on appelle au secours quand il y a déjà des difficultés (..) C’est quand “tout va bien” qu’il faut se poser des questions pour prévenir les risques.”
Quelles peuvent être les premières mesures concrètes ?
Il peut s’agir de mesures techniques ou organisationnelles. Parfois, les personnels n’ont tout simplement pas été formés à faire ce qu’on leur demande, et la formation peut être une réponse. J’ai vu le cas d’une entreprise ou les personnels étaient régulièrement victimes d’agressions verbales par la clientèle. Une des mesures a consisté à investir pour transformer les conditions d’accueil physique des clients. Dans de grandes organisations matricielles, il peut être parfois difficile de savoir qui fait quoi, là c’est sur la communication qu’il faut agir.
« Il peut s’agir d’une problématique systémique qui nécessite d’être adressée au niveau collectif »
Comment s’assurer que l’organisation ne reproduise pas les mêmes erreurs ?
Souvent, on appelle au secours quand il y a déjà des difficultés. Il ne faut pas attendre qu’elles se présentent. C’est quand “tout va bien” qu’il faut se poser des questions pour prévenir les risques. Chaque entreprise a une problématique différente. Dans le secteur médico-social , comme dans les EHPAD, où j’interviens beaucoup, les risques sont liés à l’exposition à la souffrance des autres. Dans le secteur tertiaire, on rencontre plus souvent des problématiques relationnelles ou organisationnelles. Chaque entreprise doit identifier les risques qui lui sont propres. Après la phase de diagnostic, on peut passer à la formation des personnels en interne. Il peut être judicieux de nommer des référents au sein de l’organisation qui seront des personnes vers qui les collaborateurs doivent se tourner en cas de difficultés.
Comment réagir lorsqu’on est victime ou témoin d’une situation de souffrance au travail ?
Ne pas rester seul. Les personnes qui souffrent au travail ont tendance à culpabiliser et à s’isoler. Or, il peut s’agir d’une problématique systémique qui nécessite d’être adressée au niveau collectif. Il faut se rapprocher d’une personne de confiance: cela peut être un responsable mais aussi un collègue ou le médecin du travail.
Propos recueillis par Natacha Kadur